Samedi 25 août 2018. Je ne ferme plus les yeux depuis 7 heures du matin environ. Et pour cause, je sais que dans 30 minutes, les copines d’Anaïs vont venir la réveiller en fanfare pour l’embarquer fêter, le temps du week-end, son enterrement de vie de jeune fille. Un de mes rêves étant de gravir, un jour, le Mont-Blanc, je profite de l’occasion pour partir en montagne. L’objectif ? Rallier le plus rapidement possible le sommet du Pic d’Anie depuis le refuge de l’Abérouat. En somme, le début d’un entrainement qui devra me permettre, l’année prochaine si j’en ai l’occasion, de poser le pied à 4810 mètres, sur le point culminant de la chaîne des Alpes. Car oui, n’allez pas imaginer que l’ascension du Mont-Blanc puisse se faire du jour au lendemain, sans un minimum de condition physique et de connaissances techniques en matière de très haute montagne.
Sportif depuis ma plus tendre enfance, je mesure bien le défi qui m’attend. Mais avant de me lancer à l’assaut de ce mythique somment européen, j’ai pris soin de méticuleusement préparer cette randonnée du Pic d’Anie. En montagne plus qu’ailleurs, les accidents sont fréquents. L’erreur ne pardonne pas. Avoir étudié le parcours, emporter une carte, voire un un gps, disposer d’eau, de nourriture, de vêtements adaptés et de bonnes chaussures sont des indispensables. D’autant que le temps peut vite changer à de telles altitudes. En outre, il n’est jamais conseillé de partir seul en randonnée, j’en suis parfaitement conscient. Pourtant, j’enfreins cette règle élémentaire ce samedi-là. Honte à moi. Néanmoins, je suis persuadé de rencontrer des personnes en chemin avec qui j’effectuerai la marche.
Les filles ayant déjà investi la cuisine pour faire goûter à Anaïs, les yeux bandés, toute sorte de mets pas vraiment appétissants, je prépare à mon rythme les dernières affaires du sac que j’avais caché la veille pour ne pas éveiller ses soupçons. Il est 8 heures quand je monte dans la voiture, laissant derrière moi un groupe de filles ayant déjà entamé des épreuves dignes de Fort Boyard et de Koh-Lanta.
Quelques données intéressantes concernant le Pic d’Anie
Une heure et demi plus tard, j’arrive sur le parking du refuge de l’Abérouat (1420m environ), un établissement situé à proximité de la ville de Lescun, dans les Pyrénées-Atlantiques. C’est exactement l’heure que je m’étais fixé pour entamer le début de la randonnée. Le panneau indiquant le sommet, à 2504m, donne 4h30 de marche. Mon défi ? L’atteindre en 3 heures. Point culminant de la vallée d’Aspe et du cirque de Lescun, le Pic d’Anie, d’aspect massif et pyramidal, est le premier sommet pyrénéen dépassant les 2500 mètres quand on vient de l’océan Atlantique.
Le massif de l’Anie, non loin du col de La Pierre Saint-Martin, domine un remarquable relief karstique désertique, où failles, fissures et crevasses ont été creusées depuis des millénaires par les éléments. Le panorama au sommet est d’ailleurs des plus majestueux, puisqu’il offre, par temps dégagé, une vue à 360 degrés sur toute la chaine transfrontalière. D’ailleurs, ce n’est que le 28 juillet 1771 que le Pic a été escaladé dans sa globalité par François Flamichon, ingénieur géographe de l’époque. C’est dire si cette randonnée est mythique..
En soi, ce trek d’une quinzaine de kilomètres n’est pas à prendre à la légère : la longueur (plus de 15km), le dénivelé important (plus de 1100 mètres), et quelques zones techniques (ressauts à passer avec les mains, cheminée d’une vingtaine de mètres pour accéder à la partie finale et pente glissante dans le lapiaz) en font un parcours réservé aux randonneurs expérimentés. De plus, le balisage n’est pas toujours présent, et l’orientation dans les arres d’Anie se fait parfois à l’œil en suivant les cairns. Par mauvais temps ou brouillard, il est donc totalement déconseillé de s’y aventurer.
Notez enfin qu’il existe deux principales voies d’accès vers le sommet de l’Anie : un depuis la station de ski de la Pierre Saint-Martin, et un depuis le refuge de l’Abérouat, qui offre des paysages un peu plus variés.
Un début de randonnée idéal et sans encombre
Les premières foulées se font sur le sentier du GR10 (marquage rouge et blanc), et je m’enfonce peu à peu dans la forêt du Braca d’Azuns. Le sous-bois est frais, calme, reposant. De gros blocs rocheux jalonnent ça et là le parcours, et quelques champignons ont même décidé de sortir de terre. Le rythme est bon, j’avance à une allure rapide. La traversée de ce bois (3km environ de mémoire) ne présente absolument aucune difficulté, si bien que je quitte la forêt et que je débouche sur le plateau d’Azuns 45 minutes après mon départ, à 10h15. Pause fraicheur. Un randonneur s’y trouve déjà et referme son sac : il semble que la sortie du bois soit le moment choisi par tous pour se désaltérer. Après quelques mots rapides échangés, je laisse ce quinquagénaire prendre de l’avance pour contenter mon estomac qui, déjà, crie famine.
Dix petites minutes seulement me suffisent pour rattraper l’homme. Cinq minutes après l’avoir dépassé, j’arrive à la cabane du Cap de la Baitch. Il est 10h30. Un groupe d’espagnols se trouve là et bon nombre d’entre-eux discutent autour de cette cabane habitée par un berger et sa famille durant l’été. Outre la vente de fromage sur place, une fontaine d’eau potable devant la cabane principale permet de se ravitailler. Ce que je fais, ce qui laisse le temps à notre cinquantenaire de me doubler à son tour.
De ce point, laissez à droite le chemin qui mène au Pas d’Azun et continuez tout droit en direction du lac d’Anie. Là, les premières pentes se font sentir : les jambes doivent s’habituer à ce nouvel effort. Le chassé croisé continue avec le randonneur qui m’accompagne depuis la sortie du bois. Le sentier forme une sorte de lacets, et c’est le moment que je choisis pour dégainer mes bâtons de marche. Devant, j’aperçois deux silhouettes à une centaine de mètres. Deux hommes visiblement. Arrivé à leur hauteur, sur une zone de replat, je comprends que ce sont, eux aussi, des espagnols, puisqu’ils me demandent dans leur langue si je connais la randonnée. Grâce à mes quelques notions d’espagnols, je leur indique que non, et ceux-ci me répondent qu’ils ne savent pas s’il faut prendre à gauche ou à droite. En effet, à cet endroit, deux sentes bien visibles partent à l’opposé l’une de l’autre. Mon road-book indique de suivre à gauche, et un des deux espagnols pense aussi devoir suivre cette voie. L’autre, armé d’un GPS, a quelques doutes et semble désorienté. Du coup, nous décidons quand même de tenter la voie de gauche.
La montée du Pic d’Anie : arrivée au sommet en compagnie d’Unai et Adrian
Nous sommes désormais trois, et la conversation commence entre nous, un peu difficilement au début je l’avoue. Néanmoins, plus nous avançons, et plus le doute s’installe. Nous effectuons d’ailleurs plusieurs pauses, nous consultons les cartes, nous regardons le GPS, nous parlementons.. il faut se rendre à l’évidence, le chemin ne semble pas être le bon. D’ailleurs, les marquages au sol sont quasi inexistants. Pourtant, le road-book mentionnait bien qu’à partir du replat herbeux les traces devenaient moins présentent.. 30 minutes passent. Décision est finalement prise de rebrousser chemin en passant plus haut pour tenter d’avoir une meilleur vue afin de retrouver la bonne trace. Une demi heure plus tard encore, nous rejoignons un sentier qui pénètre dans la pierraille des arres d’Anie. Ca y est, on a retrouvé « la route ».. mais on a perdu plus ou moins une heure.. Je comprends dès lors que mon objectif de gravir le Pic d’Anie le plus vite possible ne sera pas atteint..
Quelques moutons et brebis nous accueillent ici et semblent nous indiquer la voie à suivre vers une zone désertique, presque lunaire. Le sentier s’efface même parfois, mais les cairns (tas de pierres entassées par les randonneurs pour marquer le chemin) permettent la traversée sans trop de difficultés. Attention toutefois, il y en a un peu partout et dans tous les sens ! Mes compagnons et moi faisons une pause fraicheur arrivés sur un promontoire rocheux : une croix blanche y est plantée.
De là, on continue notre avancée plein ouest dans la pierraille. C’est l’occasion de faire davantage connaissance avec mes compagnons de route : Unai est un guitariste qui vient de San Sébastien, Adrian, lui, est un de ses amis. Ils profitent du beau temps et du week-end pour randonner à travers les pics montagneux pyrénéens, sans savoir pour l’heure quelle randonnée ils effectueront le lendemain. Passés les éboulis, le sentier devient peu à peu plus visible, et nous contournons le pic par la droite. 40 minutes avant d’atteindre le sommet environ, une cheminée d’une vingtaine de mètres nécessite de s’aider de ses mains pour franchir la barre rocheuse. Prudence et gestes assurés sont les maitres mots pour passer l’obstacle. De là, on débouche sur la face ouest du Pic d’Anie pour attaquer la pente finale. Le sommet est en vue mais c’est clairement la partie la plus difficile de l’ascension : c’est raide et les nombreux petits cailloux glissent sous les chaussures. Nous croisons une famille de français, avec qui je prends le temps de discuter : « la vue n’est pas dégagée en haut » me souffle le père, « on ne voit que la mer de nuages ». Pour l’anecdote, eux aussi me confirment qu’ils se sont trompés de chemin à l’endroit même où j’ai rencontré Unai et Adrian. Comme quoi, on ne doit pas être les seuls à se faire avoir..
Il est exactement 13h30 quand nous arrivons au sommet du Pic, à 2504 mètres d’altitude. Et devinez qui s’y trouve ? Le randonneur avec qui j’ai fait du chassé croisé jusqu’à la cabane du Cap de la Baitch ! Parti à 9h15 du refuge, il m’indique être arrivé ici vers 13h. Je suis donc quasiment certain que sans notre erreur d’orientation, j’aurai pu faire l’ascension en trois heures seulement. Une prochaine fois !
Après quelques photos souvenirs, vient l’heure du déjeuner : il serait dommage d’arriver au sommet et de repartir aussitôt non ? D’autant que le vent se met à souffler, ce qui chasse peu à peu les nuages. De là où nous sommes, nous disposons à présent d’une magnifique vue sur le Pic d’Ossau, sur la station de La Pierre Saint-Martin, sur toute la vallée d’Aspe et même sur le Pays-Basque. Unai et Adrian me proposent gentiment de boire quelques gorgées de vin rouge dans leur zahato (gourde espagnole en peau) accompagné d’un fromage pur brebis. De mon côté, je leur fais découvrir le melon français, un peu plus goutu à mon sens que leur melon espagnol. Assis sur des pierres, nos échanges continuent, alors que d’autres randonneurs arrivent à leur tour au sommet.
N’ayant pas pu effectuer la montée dans le temps que je m’étais fixé, je décide alors d’effectuer la descente à un rythme soutenu, tout en faisant attention et en ne prenant pas de risques inconsidérés. Mon souhait ? Arriver à rattraper la randonneur français, parti du sommet à 13h30. Après de sympathiques adieux avec Fumai et Campi (les deux surnoms d’Unai et d’Adrian), j’entame ma descente à 14h30. Ne reste plus qu’à faire tout le chemin inverse ! Est-ce un signe ou pas, je rattraperais finalement mon acolyte à l’entrée du bois, et j’arriverais à la voiture à 16h35. Soit 2h05 de descente à peine.
Tres bonne le article,merçi Valou.